octobre 2021, modifié 21 juin 2022
Le contexte de grande souffrance des forêts en général, et de celle de Pontarlier en particulier, rend difficile une projection sur 15 à 20 ans. Les très grandes incertitudes concernant les conséquences du réchauffement climatique sur l’évolution des forêts à long terme compliquent, voire rendent hasardeux, les exercices de prévisions, et donc de planification.
On parle de « gestion patrimoniale » de la forêt…
lorsque les actions de gestion planifiées ne recherchent pas forcément une rentabilité financière immédiate, mais plutôt une rentabilité durable.
État des lieux
Composée à 42 % de sapins et à 40 % d’épicéas, notre forêt de moyenne montagne est essentiellement peuplée de résineux. Le hêtre est présent pour 14 % et les autres feuillus (tilleuls, érables sycomores, frênes,etc.) se partagent les 4 % restants. Il faut distinguer deux types de peuplements pour les résineux : les peuplements dits « réguliers » constitués d’arbres de même âge issus de régénérations naturelles (les arbres se re-sèment tout seuls) et de plantations par l’homme, particulièrement d’épicéas. Ces peuplements couvrent encore 60% de la forêt communale, soit 636 hectares. Pour 412 hectares, il s’agit de peuplements « non mûrs » c’est-à-dire constitués d’arbres encore jeunes. Les 224 autres hectares, considérés comme « mûrs », concernent des peuplements devant être régénérés dans les 20 ans à venir
Actuellement, la forêt traverse elle aussi une crise sanitaire. Due aux scolytes* pour les épicéas et au dépérissement suite aux sécheresses pour les sapins, cette crise montre bien les limites des peuplements sylvicoles réguliers : les parasites et les maladies s’y propagent facilement, la forêt n’offrant pas la résilience nécessaire pour y résister. Un des enjeux majeurs de la gestion à venir est de remplacer progressivement ces peuplements réguliers par des espèces diversifiées, dans leurs essences et leurs âges, à la fois en laissant s’opérer une régénération naturelle et en pratiquant des plantations volontaires de façon à obtenir à terme une forêt « irrégulière . Modifier la structure d’un peuplement impose donc de se projeter sur un temps long. Or, le réchauffement climatique fait peser une grande incertitude sur les choix à faire dès maintenant, particulièrement
Épicéas atteints par des scolytes. Photos HDCES, Laveron, 19 octobre 2022
concernant les nouvelles essences à installer ou à laisser venir naturellement, dans l’espoir qu’elles correspondront aux conditions climatiques de 2070 et au-delà. Dans cette perspective d’une hausse des températures, le hêtre, le tilleul, l’érable sycomore, déjà présents, seront à favoriser avec des compléments de plantations d’essences diversifiées comme le mélèze des Hautes-Alpes et d’autres essences plus méditerranéennes. Quant aux sapins et aux épicéas, dont on sait que ce sont les essences les plus menacées par le réchauffement climatique, ils ne seront alors plus adaptés au climat du Haut-Doubs et dépériront petit à petit.
*scolytes : quelques fois appelés chez nous « bostryches », ce sont des insectes coléoptères parasites qui pondent leurs œufs sous l’écorce et dont les larves consomment la partie vivante de l’arbre, à l’abri des regards, ce qui rend très difficile leur détection avant que l’arbre ne montre des signes de dépérissement.
L'impact économique des atteintes sanitaires
En prenant de l’âge, les arbres augmentent en volume, provoquant mécaniquement un accroissement du volume de la forêt à superficie égale. C’est cette augmentation que l’on nomme « production biologique » et qui s’élève environ à 8 000 m3 pour l’ensemble de notre forêt communale. C’est dans cette marge qu’il est possible de prélever du bois à vendre sans épuiser la forêt, c’est-à-dire sans prélever plus qu’elle ne produit naturellement en une année. Il est toutefois possible, certaines années et pour des besoins clairement identifiés de gestion sylvicole, d’opérer des coupes plus importantes. Cela fait l’objet, sur proposition de l’ONF, d’une décision du conseil municipal dans le cadre du « plan d’aménagement pluriannuel » ou d’un programme de coupes annuel. Cette éventualité doit
Route forestière pour le transport des grumes. Larmont, 6 juin 2014. Photo HDCES
être limitée dans le temps afin de conserver le patrimoine forestier. Tous les ans, avec les services de l’ONF, le conseil municipal décide quel volume sera mis en vente, mais aussi quelles seront les parcelles concernées par les prélèvements et les types d’arbres à couper (« gros bois », bois plus jeunes, chablis, etc.)
Les chablis sont également appelés « produits accidentels ». Ce sont des arbres que l’on n’avait pas envisagé de couper, mais que l’on est contraint de prélever, soit parce qu’ils sont tombés sous l’effet de tempêtes ou de problèmes sanitaires soit parce qu’il faut intervenir pour prévenir leur chute. On comprend qu’aujourd’hui, avec la crise des scolytes et les sapins qui sèchent, le volume de ces produits accidentels est considérable. Même si les qualités mécaniques des bois ne sont pas altérées par le dépérissement quand les arbres malades sont enlevés rapidement, la valeur marchande de ces bois est faible et leur arrivée massive sur le marché du bois a provoqué un effondrement des cours en 2019 et 2020. Dans le cas des forêts communales, cet effondrement peut avoir des conséquences importantes sur les budgets communaux. Pour Remoray-Boujeons et Fourcatier-et-Maison-Neuve, par exemple, les revenus de la forêt représentaient, en 2018, plus de 40 % des recettes budgétaires1. On imagine les difficultés dans lesquelles ces communes se trouvent actuellement pour boucler leur budget !
Pour Pontarlier, l’impact est faible. Le bénéfice tiré par les ventes annuelles était, avant la crise, de l’ordre de 300 000 €. Cela représente environ 1 % des recettes de fonctionnement du budget principal de la Ville, c’est-à-dire les recettes régulières liées au fonctionnement de la commune.
C’est pourquoi la fédération des communes forestières du Doubs (COFOR) et la direction de l’agence de Besançon de l’ONF ont recommandé de réduire fortement la mise sur le marché de bois « verts » afin de permettre l’écoulement à des tarifs moins catastrophiques des « produits accidentels ». Ce principe a déjà été adopté pour Pontarlier, qui a réduit en 2020 et 2021 son programme de coupe de 50 à 60%.
Une filière économique fortement impactée
Les communes ne sont pas les seules affectées par cette crise. C’est tout une filière en aval de la production forestière qui est concernée : les scieurs et les différentes industries de transformation (bois d’œuvre, ameublement, etc.) et ce d’autant plus que cette crise ne semble pas vouloir être passagère, comme le furent les tempêtes de 1999. Les atteintes à la santé de nos forêts vont vraisemblablement se reproduire d’années en années, même si l’ONF envisage un « retour à une certaine normalité » à partir de 2025 pour les scolytes.
C’est en prenant conscience de cela que les élu.es du collectif « Pontarlier, ville écologique et solidaire » ont préconisé que les réflexions associent l’ensemble des acteur.ices, propriétaires privés, exploitant.es, scieur.euses, industriel.le.s de la transformation, distributeur.ices finaux, afin d’élaborer une nouvelle stratégie d’exploitation des ressources sylvicoles fondée sur l’offre potentielle, plus en phase avec ce que les forêts peuvent et pourront produire.
Un rapport parlementaire allant dans ce sens a d’ailleurs été produit en juillet 2020 par la députée du Nord Anne-Laure Cattelot* : il insiste sur la nécessaire « adaptation de l’industrie forestière aux mutations de la forêt » (p.64). Pour cela, il faut évidemment que l’on développe l’utilisation locale du bois, notamment dans la construction. Les collectivités locales, dans le cadre de leurs plans d’urbanisme (PLU, SCOT, etc.) et par leur pratique des marchés publics, peuvent être pilote dans ce domaine.
*La forêt et la filière bois à la croisée des chemins : l’arbre des possibles, Anne-Laure Cattelot, députée du Nord, Rapport à la Commission du Développement durable, Assemblée nationale, juillet 2020, téléchargeable en pdf depuis le site de la Fédération nationale des communes forestières : http://www.fncofor.fr/rapport-cattelot-foret-filiere-bois-communes-forestieres-a-unisson-4_3193.php
Notre forêt a évolué en fonction de nos besoins
Tant que le moyen de chauffage principal des foyers était le bois, le hêtre avait une belle place dans la forêt pontissalienne, car c’est un très bon combustible.
À partir du 19ème siècle, les besoins en bois de construction augmentent avec l’urbanisation. Le hêtre n’étant pas un bon bois d’œuvre, c’est à cette époque que les résineux ont été privilégiés : pousse rapide, bonne qualité en tant que bois d’œuvre, ils étaient tout indiqués pour être sélectionnés !
2021 : c’est l’écologie de la forêt qui doit maintenant commander nos utilisations !
Les quatre fonctions de la forêt
La fonction économique
Déjà évoquée précédemment, cette fonction a longtemps été privilégiée. Fournissant du bois pour les constructions d’immeubles et de navires, elle a aussi procuré de l’énergie pour le chauffage domestique et du charbon pour les industries jusqu’au XIXe siècle, quand le « charbon de terre » a remplacé celui dit « de bois ». Si la prééminence du pétrole puis du gaz ont un temps relégué le bois dans une fonction très secondaire en matière d’énergie, sa caractéristique « renouvelable » le remet aujourd’hui sur le devant de la scène sous l’appellation « bois-énergie ».
Ainsi que le note l’ONF : « Produire du bois dans le respect de l’accroissement naturel des forêts, c’est agir au service d’une économie locale et pour le maintien et la création d’emplois ruraux non délocalisables. C’est aussi prendre pleinement part au défi de la transition écologique.
Matériau écologique et renouvelable, le bois s’impose aujourd’hui comme le matériau du 21ème siècle et propose une alternative aux énergies fossiles. Bois construction, tonnellerie, développement des procédés de chimie verte, bois-énergie… Autant de secteurs dans lesquels l’utilisation du bois se révèle un atout incontournable pour contribuer à une attractivité économique durable des territoires. »1
Pavillon de la France, Milan 2015 – Réalisé par l’entreprise Simonin à Montlebon
En effet, l’impact de la filière forêt-bois sur l’emploi ne peut être négligé. L’association des communes forestières de Bourgogne Franche-Comté estime qu’elle représente 20 000 emplois directs dans 5 000 entreprises. À titre de comparaison, l’agroalimentaire compte 27 900 emplois répartis dans 2 800 entreprises.2
1 http://www1.onf.fr/gestion_durable/++oid++5e0b/@@display_advise.html
2https://www.communesforestieres-bourgognefranchecomte.fr/foret-et-bois/page-16-la-filiere-foret-bois-en-bourgogne-franchecomte
La filière automobile compte 45 000 emplois en Bourgogne / Franche-Comté, selon la Préfecture de région (https://bourgogne-franche-comte.dreets.gouv.fr/La-filiere-automobile-en-Bourgogne-Franche-Comte)
Que penser du bois-énergie ?
Le bois est actuellement, au niveau national, la première filière productrice de chaleur renouvelable en France avec une part d’environ 70 %. (source : https://fibois-bfc.fr/sites/default/files/documents/2019.05.Questions_Re%CC%81ponses_Bois_e%CC%81nergie__SER.pdf). La tentation est grande d’en augmenter l’usage, y compris pour la production d’électricité.
Le bois est utilisé pour le chauffage par les particuliers essentiellement sous forme de bûches et de granulés, et en plaquettes forestières par les chaufferies collectives et industrielles, qui peuvent co-générer chaleur et électricité.
À condition de rester, pour tous les usages du bois, à des prélèvements dans les limites de l’accroissement naturel du volume forestier, ses propriétés « renouvelables » en font un instrument idéal dans la transition énergétique.
La vigilance est toutefois de mise. La première destination de la production de bois est la fourniture de « bois d’œuvre » (charpente, menuiserie, ébénisterie, …). C’est aussi la plus rémunératrice. C’est celle qui doit rester privilégiée particulièrement dans la perspective d’une plus grande utilisation du bois dans la construction à des fins énergétiques. Le bois, en vue de la production d’énergie, doit rester cantonné à des sous-produits de l’exploitation principale. Il est hors de question de destiner une forêt à la seule production de bois-énergie !
De quels sous-produits parle-t-on ? Il s’agit pour l’essentiel des branches, appelées « houppier » lorsqu’elles constituent la couronne sommitale des arbres. Laissées sur le sol dans la forêt elles sont indispensables à la production de matière organique « nourrissant » le sol. Une partie de ces branches peuvent être prélevées en vue de la fourniture de bois-énergie. Mais il faut se fixer la règle qu’il ne faut pas que les différentes utilisations du bois entrent en concurrence. D’autant que de nouveaux usages peuvent voir le jour. Ainsi les arbres isolés produisent des quantités importantes de houppiers. L’idée a vu le jour de broyer ces branches et de les mélanger avec du lisier produit par l’élevage laitier en vue d’obtenir un compost de bonne qualité. Cette solution aurait le mérite de réduire fortement la pollution des sols par les nitrates.
Ainsi donc, la production d’énergie par l’utilisation du bois devrait rester marginale, au sens de « à la marge » des autres usages. Le pire serait évidemment d’arriver à un niveau d’équipements de production de chaleur par le bois tel qu’il faille en importer pour couvrir les besoins. La solution au confort thermique des bâtiments réside, avant tout, dans leur isolation, c’est-à-dire la réduction drastique des besoins.
La fonction écologique
Si la production de bois est une fonctionnalité importante de la forêt, elle n’est pas la seule. Formidable source et réservoir de biodiversité, elle abrite un nombre considérable d’espèces végétales et animales, pour peu bien sûr que les peuplements installés par l’Homme n’en stoppent pas l’expression. Avec les océans, les forêts sont les principaux puits de captage du dioxyde de carbone. La forêt joue également un rôle dans la régulation du cycle de l’eau. Contrairement à une affirmation trompeuse circulant au début de l’année 2018 selon laquelle la forêt serait responsable des sécheresses*, il est utile de rappeler que si la forêt capte une quantité importante d’eau (20 à 30 % des précipitations en France) elle en restitue une grande partie. En effet, selon les espèces, entre 42 et 72 % de l’eau captée sont rendus à l’atmosphère au moyen de l’évapotranspiration (oui, les arbres transpirent !) La végétation et les sols de la forêt jouent par ailleurs un rôle d’éponge qui filtre l’eau et la restitue lentement au réseau hydrologique souterrain. Enfin, sa nature ombragée participe au rafraîchissement de l’air.
*La forêt à l’origine des sécheresses et des pollutions du Haut-Doubs ?, La Presse pontissalienne, janvier 2018, page 17
Le sol forestier
« On réduit souvent le sol à une fonction de support de la vie végétale et animale. Outre qu’il retient l’eau, stocke les substances nutritives et constitue l’habitat d’organismes vivants et joue un rôle de puits de carbone, le sol présente un fonctionnement analogue à celui d’un organisme vivant. Il respire (consomme de l’oxygène), régule sa température, digère la matière organique, fait circuler l’eau et stocke les réserves (humus, argile). Le sol est le capital santé des arbres. Fragile, il doit être protégé. » (extrait de « Le sol forestier », plaquette du Centre national de la propriété forestière, 2015, page 9).
Concernant le rôle éminent des champignons, dont on ne connaît, et prélève quelquefois, que quelques rares excroissances, dans le fonctionnement des sols on peut se référer au passionnant ouvrage de Francis Martin, responsable de laboratoire à l’INRA de Nancy, intitulé « Sous la forêt, pour survivre il faut des alliés », Éditions HumenSciences, Paris 2019
L’eau et la forêt
Voilà 150 ans qu’il est démontré que le rôle de la forêt est fondamental dans la régulation des grands cycles de l’eau, suite à la mise en place des premières lois de restauration des terrains en montagnes dans les années 1880-1890, pour répondre aux grandes inondations dans les villes, dont Lyon, conséquences des immenses déforestations en zones de montagnes, Alpes du Nord, Alpes de Haute Provence, Massif Central, notamment.
Ces lois ont obligé à reboiser des versants entiers de montagnes, le rôle de la forêt étant reconnu comme enjeux majeur de protection, mesure de protection intégrée systématiquement depuis, dans les plans de gestion de chaque forêt publique
Le rôle social de la forêt
Les promenades en forêt, les activités à caractère sportif de loisir ou de compétition, offrent aux citoyen.nes de plus en plus citadin.es des moments de respiration, voire de ressourcement.
L’ONF estime ainsi que les forêts françaises reçoivent près de 700 millions de visites par an. En outre, le rôle paysager de la forêt contribue à façonner le sentiment d’appartenance à un « pays ». En cette période de crise sanitaire et de confinement, les bois environnant les villes offrent bien évidemment des espaces de liberté bienvenus. À ces usages sportifs et de loisir, il faut ajouter aujourd’hui une fonction éducative, particulièrement pour les scolaires, et sanitaire grâce notamment aux « parcours de santé ».
Promenons-nous dans les bois !
L’accueil du public en forêt est désormais considéré comme une fonction à part entière. Cela nécessite qu’il soit organisé de façon à ne pas le mettre en concurrence avec les autres usages. Cela veut dire que des zones spécialement prévues pour cet accueil font l’objet d’un traitement sylvicole spécifique. Par exemple on évitera d’y laisser les branches et arbres morts afin de faciliter la promenade. Dans les autres zones, en contrepartie, on fera en sorte que la fonction écologique, et particulièrement la régénération des sols puisse s’effectuer avec le moins de gêne possible.
Concernant certains chemins et sentiers d’apparence non entretenus, ils ont été créés lors des coupes de bois pour les besoins du débardage. Ce sont les mêmes qui sont réutilisés pour les nouvelles coupes (tous les 7 ans environ) afin de limiter le compactage des sols lors des passages d’engins. Ils n’ont donc pas vocation à être empruntés par le public
Le bois mort héberge près de 25 % de la biodiversité forestière, dont des espèces rares
Sa décomposition permet le retour des minéraux dans le sol, nécessaire à la bonne santé des arbres.
Protection contre les risques naturels
La couverture que la forêt procure réduit considérablement l’érosion des sols. Elle les stabilise, particulièrement dans les zones littorales, en fixant les dunes, mais aussi en atténuant les risques d’éboulis et d’avalanches en montage. Sans que cela soit très visible, sa capacité de rétention d’eau contribue également à limiter les risques d’inondation
Les enjeux, les choix
Les incertitudes liées au réchauffement climatique, que le dernier rapport du GIEC (à consulter sur le site de l’Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC), https://www.ipcc.ch/languages-2/francais/) annonce plus alarmant que ne le faisait le précédent, rendent toute prévision extrêmement hasardeuses, et pourtant nécessaires.
Les décisions à prendre sont de deux types : celles dont les conséquences sont immédiates ou, pour le moins, proches, et celles dont les effets ne se produiront que dans le temps long, voire très long.
La crise sanitaire et ses effets immédiats
Confrontés à des atteintes violentes (scolytes pour les épicéas, dépérissement pour les sapins, qui s’ajoutent au développement de divers autres dégâts comme la chalarose qui menace les frênes), les propriétaires de parcelles forestières sont contraints d’intervenir pour tenter de limiter la prolifération des maladies et des parasites en prélevant sans délais les arbres atteints, quitte à procéder à des « coupes rases » dites « sanitaires ». Tout ceci nuit souvent à la qualité des paysages et multiplie les risques pour la sécurité des usager.es de la forêt.
La conséquence la plus visible de ces coupes rases a été l’abondance de bois sur le marché actuel et donc un effondrement des cours. Pourtant, la situation à l’échelle mondiale est paradoxale, car on signale, dans certaines contrées, une pénurie de bois ! Ces annonces entraînent une augmentation des prix, notamment dans le cas des achats de chêne, principalement effectués par la Chine sur les propriétés privées à des tarifs relativement élevés qui obligent les acheteurs français à surenchérir. Or, cette surenchère a des conséquences sur les utilisateur.ices finaux, particulièrement dans le domaine de la construction où il est très difficile d’établir des devis fermes et définitifs tant que les entreprises ne connaissent pas le coût prévisionnel du bois d’œuvre ! Par ailleurs, les pays confrontés aux giga-feux, comme les États-Unis, cherchent eux aussi à importer du bois en grande quantité, mais à des prix les plus bas possible. Les artisan.es et constructeur.ices français ont donc beaucoup de mal à se projeter pour leurs client.es sur un marché du bois aussi perturbé par les acheteur.euses chinois.es. En réaction à tout cela, la fédération nationale du bois a invité les propriétaires de forêts privées à emboîter le pas à la forêt publique afin de garantir la priorité aux scieries françaises et européennes quant à l’approvisionnement en chêne.
Au niveau local, une solution pour contenir l’effondrement des prix a été de solliciter des communes pour qu’elles réduisent leurs prélèvements et ainsi la quantité de bois disponible sur le marché. En effet, plus la quantité disponible diminue, plus le bois prend de la valeur et peut se vendre à bon prix. Cela a fait l’objet en octobre 2020 d’un courrier conjoint de l’association des communes forestières du Doubs et de l’agence ONF de Besançon. Pourtant, comme signalé plus haut, cette solution constitue des manques à gagner considérables pour certaines collectivités.
Une autre conséquence, plus pernicieuse, doit aussi être prise en compte. Les arbres verts que l’on ne prélève pas aujourd’hui dans le cadre d’une gestion classique risquent eux aussi d’être atteints par les scolytes ou de sécher et ainsi d’avoir perdu de leur valeur le jour où ils seront coupés !
À Pontarlier, l’évolution de la propagation des scolytes impose de modifier sans cesse les prévisions de prélèvements pour privilégier la commercialisation des produits accidentels, les chablis, et renoncer à d’autres coupes plus rentables. Il est en effet très difficile pour les équipes de l’ONF de repérer la présence de scolytes avant la mort des arbres et il est du devoir de la Ville d’évacuer en priorité les arbres touchés pour des raisons de sécurité. Il n’y a donc aujourd’hui pas d’autres solutions qu’une navigation « à vue », au plus près de l’évolution sanitaire, en renonçant à un gain potentiel pour le budget de la commune. Il reste à chercher à ce que les produits des ventes couvrent a minima les frais d’exploitation et de commercialisation tout en visant une revalorisation conséquente des revenus de certaines professions, tout particulièrement les bucheron.nes et les débardeur.euses, dont les effectifs baissent faute d’attrait financier suffisant pour compenser la dureté et la dangerosité du travail.
L'adaptation des peuplements à long terme,
ce que la nature offrira,
ce que l'homme doit - et peut- faire
Par quoi remplacer les essences que l’on sait dès aujourd’hui susceptibles de disparation ? C’est maintenant qu’il faut faire des choix dont on ne connaîtra la pertinence que dans 50 ou 100 ans ! Cette perspective ne doit pourtant pas créer d’angoisse ; il y aura toujours de la forêt de par chez nous. Dans le pire des cas, la nature se chargera de remplacer elle-même les arbres devenus incapables de survivre. On sait que le sapin et l’épicéa sont les espèces les plus menacées par le réchauffement climatique. La question est d’essayer de savoir de quoi sera composée cette nouvelle forêt et comment seront remplies les quatre fonctionnalités évoquées plus haut.
Le rôle social demeurera probablement, même si le vert des paysages ne sera plus celui des sapins et des épicéas. En revanche, les trois autres fonctions risquent d’être fortement impactées. La prévention des catastrophes n’est pas garantie, d’autant que la forêt, soumise à des sécheresses intenses et peuplée d’essences « inflammables », peut devenir elle-même source de catastrophe. La fonction économique, quant à elle, devra s’adapter pour tenir compte de ce que la forêt fournira localement. Terminé les charpentes en sapins et le bois d’œuvre en épicéas! En parallèle à cela, les besoins en bois seront possiblement plus importants qu’aujourd’hui. L’introduction grandissante de ce matériau dans la construction par exemple, devrait se poursuivre tant les bénéfices en matière de captation du carbone, entre autres, ne sont plus à démontrer. Le chêne remplacera-t-il les résineux comme en plaine ?
La forêt s’accommode du relief karstique. Bois de la Motte, 6 juin 2014 .
Face à ces changements, ce sera bien aux différents intervenants dans la transformation de ces bois de s’adapter et les évolutions des peuplements seront suffisamment lentes, malgré tout, pour que cette adaptation soit possible. En revanche, ce qui peut favoriser cette mutation, c’est la mise en synergie de tous.tes les acteur.ices : propriétaires, publics et privés, entreprises de travaux forestiers, scieur.euses, acteur.ices de la deuxième transformation. Le rôle possible d’une collectivité territoriale comme la Ville de Pontarlier, compte tenu du poids qu’elle représente avec ses 1 065 hectares, est de favoriser, de promouvoir même cette synergie.
En dernier lieu, on voit bien que c’est de la fonction écologique de la forêt dont dépend la pérennité des autres fonctionnalités. Une solution, quelquefois légitimement avancée, serait de laisser faire la nature pour laisser cet écosystème forestier s’adapter aux changements à venir. Il est vrai que certaines essences, comme le sapin, se re-sèment facilement toutes seules. On peut donc espérer qu’une auto-adaptation conduira à une évolution résiliente naturelle. L’activité humaine n’aurait plus qu’à suivre ! Reste à imaginer dans ce cas que les productions naturelles conserveraient un intérêt économique et même social. Des espèces dominantes pourraient peut-être même réduire la diversité des essences. C’est un scénario envisageable, cependant il nous semble que l’Homme ayant un jour commencé à intervenir dans les forêts, il doit continuer à le faire, mais à le faire différemment, en tirant des leçons des conséquences actuelles des erreurs passées en matière de gestion forestière. Aujourd’hui, l’enjeu consiste à diversifier les essences feuillues (hêtre, érable, tilleul) et résineuses plus méditerranéennes et à changer de modes de peuplements. En effet, on sait maintenant que les forêts gérées en futaie irrégulières ou jardinées résistent mieux aux maladies et aux parasites. Même si le dépérissement lié aux sécheresses ne les épargne pas nécessairement, une diversité d’essences et d’âges liée à une richesse de sous-bois est aujourd’hui un choix de sylviculture robuste. En revanche, si ce choix n’est pas retenu et que l’Homme ne propose pas de nouvelles plantations, au moins doit-il intervenir pour permettre à la lumière de jouer pleinement son rôle dans le développement de cette diversité. En effet, en l’absence de toute intervention, il est à redouter que les plus grands arbres captent toute la lumière et empêchent aux plus jeunes de pousser et d’assurer la relève. Des prélèvements sont donc nécessaires en tenant compte du nouveau contexte.
Parmi les interventions humaines en forêt la chasse reste un domaine très controversé. En l’absence de prédateurs naturels des grands mammifères, particulièrement le cerf, il apparaît nécessaire, pour en réguler la population, d’en « prélever » de façon régulière. Il est exact que les dégâts qu’il peut provoquer, notamment sur les jeunes arbres, peuvent mettre en péril l’équilibre et la bonne santé des écosystèmes forestiers où ils sont présents. (https://www.onf.fr/onf/+/5a4::cerfs-chevreuils-sangliers-trop-de-grand-gibier-nuit-aux-forets.html) La chasse apparaît donc comme un moyen de cette régulation. Le poids des fédérations de chasseurs est susceptible d’avoir baissé depuis le 1er janvier 2020, et la création de l’Office Français de la Biodiversité, établissement public regroupant l’Agence française pour la biodiversité et l’Office national de la chasse et de la faune sauvage. Il faut souhaiter que cet office parvienne à imposer un usage partagé des espaces forestiers (journées de tranquillité ?) et conduise à une meilleure gestion cynégétique, par exemple par la suppression du nourrissage des bêtes sauvages, notamment l’agrainage des sangliers. À défaut d’une régulation naturelle de certaines espèces d’animaux, la chasse peut y contribuer à condition qu’elle soit plus respectueuse de la nature.
Selon nous, il reste enfin à tester, avec mesure, de nouvelles essences que l’on pense plus résilientes. Faisons confiance aux scientifiques et aux technicien.nes et, pourquoi pas, proposons notre participation à des programmes de recherches dans ces domaines.
Conclusion ... provisoire
Bien que fournie, cette contribution sur l’avenir de nos forêts est forcément incomplète. Nous restons ouvert.es à toutes critiques et propositions nous permettant de la faire évoluer. En tout état de cause, l’association « Haut-Doubs Citoyen, Écologique et Solidaire » accompagne et soutient les élu.es du Groupe Pontarlier, ville écologique et solidaire, dans la recherche des meilleures solutions face à des enjeux aussi critiques.
Il serait grandement préférable que les générations à venir ne soient pas confrontées à des choix drastiques et dramatiques liés aux décisions que nous prenons aujourd’hui. Il convient donc de faire des choix sans cesse réévalués, susceptibles d’être rapportés à tout moment, année après année, misant sur une intelligence collective associant le plus d’acteur.ices possibles, avec pour fil rouge la diversité biologique des bois et forêts. Ainsi, les générations qui nous suivent pourront s’inscrire dans une continuité sur un temps long, ce que la nature sait très bien faire, et ce que nous sommes invités à apprendre à faire.
Prochains rendez-vous
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